Noël est à nos portes et le rythme effréné des achats, des festivités et des…

Petit conte de Noël
Voici un petit conte de Noël malheureusement trop souvent vu par les services hospitaliers…
Le chemin était étroit sinuait entre les arbustes dénudés de ce début d’hiver, sous l’ombre des vieux arbres. La lueur des étoiles d’une nuit sans lune l’éclairait à peine. Sur ce minuscule sentier de pygmées, foulant un épais tapis de feuilles mortes, la vieille femme avançait lentement. Sans un mot, s’appuyant au bras de deux jeunes pompiers qui, doucement, s’efforçaient de repousser les branches et les ronces envahissantes, elle allait.
Dans la pénombre, au loin, brillant de mille feux, les portes grandes ouvertes, îlot de modernité dans ce coin de campagne profonde, le VSAV* attendait.
Elle n’avait plus d’âge, les longs cheveux blancs, autrefois si soigneusement peignés, étaient devenus tignasse hirsute, poussant jusqu’au creux des reins. Les ongles, oubliés depuis longtemps, avaient poussé, ramenant l’humaine créature à un passé d’animal. Pour toute tenue, en cette froide soirée, une mauvaise robe de chambre dont les couleurs avaient disparu depuis longtemps, évoquant la robe de bure des ermites de naguère.
Derrière elle s’éloignait peu à peu la masure qui l’abritait.
Les voisins ne l’avaient plus vue depuis si longtemps, le fils était son seul lien avec le village, si près mais tellement lointain. Ils s’étaient inquiétés, ne le voyant plus venir chercher les provisions de la semaine. Le maire s’était décidé, avait emprunté le chemin de la maison, depuis longtemps tombé dans l’oubli.
Il l’avait trouvée là, seule. L’habitation était à peine éclairée par une pauvre ampoule. Pour tout mobilier, il n’y avait qu’une vieille table et quelques chaises de paille, un antique buffet de campagne, et la maie qui avait oublié depuis bien longtemps, sous sa couche de crasse, la cire odorante. Pour seul couchage il y avait deux mauvais lits dans les pièces attenantes. La pendule, au fond, immobile, n’indiquait plus que l’heure où sa vie avait basculé. Elle était assise, près d’un maigre feu, dans le cantou. Le fils ? Elle ne savait pas.
On l’avait retrouvé, plusieurs heures après, au fond du puits où, agenouillé pour puiser de l’eau, il avait sans doute eu un malaise. Tombé au fond, la tête la première, il avait terminé là une vie devenue peu à peu marginale.
A l’hôpital on l’accueillit, la doucha. Peu à peu elle redevint femme. La douceur des infirmières et des aides-soignantes apprivoisa la méfiance instinctive de celle qui avait été si longtemps recluse. Les cheveux peignés, les mains soignées, vêtue de propre et de neuf, elle souriait. Mais elle ne parlait pas.
D’un retour chez elle il ne pouvait être question. La maison de retraite l’accueillit. Avec émerveillement, elle retrouva le plaisir d’avoir son chez soi.
Jamais plus elle n’évoqua son fils, sa vie.
Longtemps après sa mort, on sut. Ce fils tant désiré, leur bonheur, leur ambition, était parti étudier. De retour au pays, il avait transformé l’exploitation. La maison rayonnait, le bonheur était sans partage. Et puis le fils LA rencontra. Les épousailles furent magnifiques, l’aisance de la famille permit une jolie noce. Et la vie fut belle, jusqu’à l’injuste maladie qui s’annonça. Les docteurs furent impuissants à la guérir. Il ne put l’oublier.
Puis le père mourut. Et peu à peu la vie s’éteignit dans la ferme. Mère et fils ne sortaient plus. Le temps passa. On avait des nouvelles lors de ses passages dans le bourg qui, d’abord réguliers, devinrent peu à peu épisodiques. On prit l’habitude.
Au pays, les gens savaient que là-bas, dans le bois qui d’année en année s’épaississait, vivait la folle et son fils. Nul ne s’y rendait plus. Et le temps passa encore…
Elle s’éteignit doucement, le soir de Noël.
La vieille maison n’en finit pas de s’écrouler, encore soutenue par la mousse et le lierre bienveillants qui pansent ses blessures. Mais toutes les nuits de Noël, depuis lors, une étoile au firmament brille singulièrement, éclairant le vieux puits, tandis que dans la pénombre on croit entendre des musiques de fête et un air d’accordéon.
Tiré d’une histoire vraie – publiée sur Le quotidien du médecin
* Véhicule de secours et d’assistance aux victimes
> Jean-Marc JACOB Médecin généraliste, 19210 LUBERSAC